La France va-t-elle explorer ou exploiter les fonds marins ?
La France ne cache plus son appétit pour les ressources minérales qui reposent sur le plancher océanique : cobalt, manganèse, nickel, zinc, cuivre, fer, plomb, or, argent, platine. C’est lors de la présentation de son plan de relance France 2030 que le président de la République a confirmé officiellement la position de la France dans les grandes manœuvres qui se jouent autour de ces enjeux. Le recyclage des métaux présents dans nos objets technologiques quotidiens est présenté comme insuffisant. Près de 90 ONG environnementales se sont regroupées pour tenter d’obtenir un moratoire sur toute ouverture des grands fonds au secteur minier, notamment auprès de l’Union européenne. Explications…
Les fonds marin, une richesse inépuisable ?
Situés entre 200 et 5 000 mètres sous la surface de l’eau, les minéraux rares sont contenus dans les nodules et sulfures hydrométalliques qui se sont lentement formés au fond de l’eau au cours de plusieurs millions d’années. Molybdène, lithium, titane et niobium mais aussi cobalt, manganèse, nickel, zinc, cuivre, fer, plomb, or, argent, platine… certains industriels et gouvernements, dont la France sont impatients d’aller puiser dans ces gisements. Ils mettent en avant le soulagement des populations qui pâtissent des mines terrestres, mais espèrent surtout pallier un épuisement des ressources déjà programmé.
Des dégâts environnementaux inévitables
Si l’on n’en connaît pas l’ampleur, les dégâts environnementaux liés apparaissent cependant inévitables, dans le dernier espace qui n’est pas encore quadrillé par les activités humaines. L’ensemble des naturalistes et océanographes tablent au moins sur des destructions d’organismes vivants dont on ignore tout aujourd’hui, ainsi que de leurs habitats. Ils s’interrogent sur l’effet des vastes panaches sédimentaires dus aux activités industrielles qui risquent d’asphyxier les éponges et les coraux, et de contaminer les chaînes alimentaires. Le bruit, la pollution lumineuse, de probables fuites hydrauliques des dispositifs mécaniques de remontée des minerais vont aussi affecter les écosystèmes océaniques.
Symptôme de cette inquiétude, fin mars, en réponse à un appel de l’ONG WWF, des entreprises telles que BMW, Volvo, Google et Samsung SDI se sont engagées à exclure l’utilisation de minerais provenant de l’océan, tant qu’une possible « protection efficace du milieu marin ne sera pas clairement démontrée ». Près de quatre-vingt-dix ONG environnementales sont regroupées au sein d’un collectif, la Deep Sea Conservation Coalition, avec des représentants de la pêche et des juristes, pour tenter d’obtenir un moratoire sur toute ouverture des grands fonds au secteur minier, notamment auprès de l’Union européenne.
L’écologie au second plan
A quelques jours de l’ouverture de la COP26 et alors que la France s’était abstenue de voté la motion présentée lors du congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature à Marseille en septembre dernier (motion adoptée par 81 % des participants), la secrétaire d’État chargée de la biodiversité indique que la question des ressources marines est au cœur d’enjeux sensibles, voire de tensions géopolitiques et que la France n’entend pas se passer de ces formidables réservoirs de matières premières. En réalité, comme l’a affirmé le comité interministériel à la mer le 22 janvier dernier, la France dispose déjà d’une « stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ».
Le gouvernement semble pressé de programmer des campagnes océanographiques dans le plancher de l’océan mondial. L’Autorité internationale des fonds marins situé en Jamaïque est chargé de délivrer les permis permettant, pour le moment, d’y mener uniquement des explorations. La France en détient deux : un sur la dorsale au milieu de l’Atlantique, un autre qui s’étend sur 75 000 km2 entre les failles de Clarion et de Clipperton, dans le Pacifique.
Aux Açores, une équipe éprouve la résilience d’écosystèmes en posant des substrats vierges sur des carrés de 30 centimètres, puis en observant le retour des espèces. Celui-ci se produit au compte-gouttes : au bout de deux ans, la nouvelle « biomasse » atteint à peine 10 % de sa quantité d’origine. Quelles que soient ses contradictions, l’Ifremer, qui est désormais l’opérateur de toute la flotte scientifique océanique française, joue un rôle central dans l’odyssée voulue par le président de la République. « La crainte principale serait que tout aille trop vite, glisse Jean-Marc Daniel. C’est pourquoi nous devons nous mobiliser très rapidement pour pouvoir argumenter et dire stop s’il le faut. Je suis optimiste, cette activité ne va pas pouvoir se développer sans débat comme l’a fait l’industrie pétrolière. »
Article de Martine Valo – Le monde
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