Chalutage de fond, la pire technique de pêche industrielle
Alors que l’Union européenne prépare, pour le printemps, un « plan d’action pour l’océan » destiné à protéger les écosystèmes marins, les organisations de défense de l’environnement centrent leurs efforts sur une technique de pêche en particulier : le chalutage des fonds marins. Elle consiste à racler le plancher océanique avec de lourds engins, en capturant les espèces sans distinction ou presque, le tout à grand renfort de carburant. Elle est considérée comme « la plus néfaste à l’environnement, pour les stocks de poissons et pour le climat » par les ONG.
Le chalutage de fond vide les océans sans distinction
Dans le cadre de la consultation publique ouverte jusqu’au 10 janvier, celle-ci a remis le 20 décembre 2021 une pétition, forte de plus de 152 000 signataires, au commissaire européen chargé de ce secteur, Virginijus Sinkevicius. Elle demande le bannissement immédiat de ces pratiques de pêche dans toutes les aires marines protégées par la commission européenne – c’est actuellement loin d’être le cas en Allemagne, aux Pays-Bas, ou en France.
Dans le monde, les chaluts de fond – quels que soient la dimension du bateau et le modèle de filet – se taillent une grosse part de la totalité des pêches : environ 26 %, rapportent les auteurs. Chaque année, ces filets remontent au moins 30 millions de tonnes de produits de la mer, soit à peu près l’équivalent de ce qu’attrapent l’ensemble la pêche artisanale. Le reste correspond à divers autres engins : chaluts pélagiques de pleine eau, filets posés, palangres, etc., industriels ou non. Les chalutiers de fond opèrent presque exclusivement dans les zones économiques exclusives (ZEE) des pays côtiers, s’aventurant rarement au-delà des 200 milles marins. Ils se cantonnent même en partie à moins de 12 milles du rivage où ils effectuent 20 % de leurs prises. Ils s’y trouvent alors en concurrence directe avec les petits bateaux des pêcheurs artisanaux et les pirogues des communautés locales.
Les Etats se disputent férocement les ressources
« Les prises mondiales pourraient augmenter s’il y avait moins de chalutage. Quand on surpêche, les rendements diminuent pour tous », affirme Daniel Pauly. Ce spécialiste internationalement reconnu est à l’origine du programme de l’université canadienne de Colombie-Britannique Sea Around Us, qui a reconstitué des décennies de captures de produits de la mer de 1950 à 2018. Le rapport sur les impacts du chalutage de fond s’appuie sur cette base de données exceptionnelle, ainsi que sur une revue de la littérature scientifique. Ses auteurs constatent que cette méthode de pêche a atteint un pic de 36,5 millions de tonnes en 1989, avant de décliner tout autour du globe. Sauf en Asie, qui n’a pas suivi la même tendance, au contraire.
Ses flottes remontent désormais environ la moitié des produits de pêche grâce aux chaluts de fond, dont 15 % pour la seule Chine. Les prises chinoises sont passées de 1,4 million de tonnes en 1985 à 5,2 millions en 2015. Le Vietnam suit de près, avec une armada d’environ 20 000 chalutiers – de fond et pélagiques – et une augmentation de ses captures de 7 000 % depuis les années 1970, tandis que celles de l’Inde et du Myanmar croissaient de plus de 400 %.
Qui pêche où ? Les réponses avancées en disent long sur la rivalité féroce entre Etats dans la course aux ressources halieutiques. Plus de 90 % des captures réalisées dans les ZEE de 34 pays, situés principalement en Afrique, sont le fait de chalutiers de fond battant pavillon étranger. « Ces chiffres pourraient même être plus élevés, étant donné l’importance des opérations de pêche lointaine jugées illicites, non déclarées ou non réglementées », précise le rapport.
Le secteur de la pêche répond lui aussi à une logique colonialiste
Les navires chinois sont bien présents sur les zones de pêche devant la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Ghana, le Liberia, le Togo, mais ils n’y sont pas seuls. La moitié des produits de la mer remontés par des chaluts de fond à moins de 200 milles des côtes africaines l’est par des flottes asiatiques et européennes, en particulier espagnoles et françaises. Or, les auteurs citent des données de 2017 selon lesquelles les accords permettant aux opérateurs étrangers de venir puiser au large des côtes d’Afrique de l’Ouest généreraient des revenus compris entre 2 % et 8 % de la valeur estimée des poissons et crustacés au moment de leur débarquement. Leurs prix grimpent ensuite au fur et à mesure qu’ils passent entre les mains d’intermédiaires vers des marchés étrangers. En d’autres termes, les gouvernements de ces pays « acceptent un commerce important de ressources essentielles sans obtenir grand-chose en retour », estiment les rapporteurs.
Nouveau chalutier géant à Concarneau: @barbarapompili estime qu’il “va falloir travailler sur ce gaspillage” pic.twitter.com/LZirlLJG7Q
— BFMTV (@BFMTV) September 25, 2020
Une pêche qui contribue aux GES
« Non seulement la pêche au chalut suit une logique colonialiste, conduit à des conflits entre pêcheurs, est très destructrice pour les espèces (comme le thon rouge qui a presque disparu) avec beaucoup de prises accessoires, mais elle contribue aussi aux émissions de gaz à effet de serre », souligne Daniel Pauly. Très gourmandes en fioul, ces pêcheries consommeraient environ 40 milliards de litres de carburant par an, sans compter les émissions de CO2 générées par la mise en suspension des sédiments sous-marins.
« Ce n’est pas rentable, poursuit le chercheur. Le chalutage revient très cher, prend beaucoup de poissons de moindre qualité qui vont être transformés en farine pour l’aquaculture. Du coup, les armateurs tirent les salaires des marins vers le bas. » Pour les défenseurs de l’environnement, la bataille pour réduire le ratissage des fonds par des filets lestés va de pair avec celle contre les milliards d’euros de financements du secteur, sous forme de détaxe du carburant ou d’aides à la motorisation et à la construction de bateaux toujours plus puissants.
L’Organisation des Nations unies demande officiellement depuis 2015 l’interdiction des subventions néfastes qui favorisent la « surcapacité et la surpêche », ainsi que la pêche illégale, car, souligne-t-elle, plus de trois milliards de personnes dépendent de la biodiversité marine et côtière pour subvenir à leurs besoins. Elle a mandaté l’Organisation mondiale du commerce pour y travailler. Un pas en avant était attendu à Genève début décembre durant la conférence ministérielle : un projet d’accord était prêt. Las, la venue des ministres a été annulée in extremis en raison de la pandémie de Covid-19. Le 2 décembre, la directrice générale de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iweala, a néanmoins exhorté les délégations présentes à trouver des réponses à ces questions d’ici à fin février.
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